PARI PERDU !

A Madame Louis Hermann

 

La rumeur publique avait dit

D'une façon presque formelle

Qu'il naîtrait cet enfant chéri

Quand les petits de l'hirondelle

Tout prêts à s'envoler du nid

Ouvriraient leurs petites ailes.

Et, ma foi, nous avions appris

Sans étonnement la nouvelle !

En octobre on avait surpris

En effet, qu'on se le rappelle,

Des symptômes assez précis.

Et bien que cette bagatelle

( Puisqu'on, nomme l'Amour ainsi, )

Préfère la saison nouvelle,

En automne on l'a fait aussi !

D'ailleurs qu'il pleuve ou bien qu'il gèle,

Qu'on ait chaud ou qu'on soit transi,

Quand le dieu Cupidon harcèle

Le malheureux qu'il a choisi

Qu'il soit consentant ou rebelle,

Il faut obéir, étourdi !

C'était donc chose naturelle.

En comptant sur nos doigts, des dix

Laissant de côté le plus frêle,

Nous avions aisément déduit,

Sans qu'aucune algèbre s'en mêle,

Qu'il naîtrait cet enfant chéri

Le jour en France où l'on rappelle

Cette Bastille que l'on prît ;

Et nous préparions nos ficelles

Et nos lampions et nos bougies

Pour illuminer avec zèle

Pour l'enfant et pour la Patrie.

---

La future maman rebelle

A ces calculs, pourtant précis,

Les discutait; dans la querelle

Je fis un bien triste pari :

Si c'est triste que je l'appelle

C'est hélas que je le perdis !

---

"Je me demande", disait-elle,

"Ce qui peut vous avoir fourni

"Cette certitude formelle

"Et ces détails, c'est inouï !

"Avez-vous tenu la chandelle ?

"Vous vous trompez mon cher ami :

"Vous avancez d'une parcelle

"De plusieurs semaines, de six !"

---

Est-ce chose spirituelle :

Dites le moi sans parti pris

En cette affaire personnelle

De vouloir tenter un pari,

Même en eût-on la curatelle ?

Je sais bien que non aujourd'hui.

---

Revenons à la tourterelle :

Elle part avec son mari,

Soldat que le devoir appelle

Allégrement vers Chambéry.

Arrivés en la citadelle

( En vers ne peut-on dire ainsi ? )

Nos deux époux, remplis de zèle,

Vêtus de leurs plus beaux habits,

Font leur tournée officielle,

Reçoivent leurs nouveaux amis,

Vont au bal où chacun excelle,

Font du sport, peut-être du ski,

Oubliant l'enfant que recèle

De la mère le sein béni.

---

L'hiver passe, l'oeuvre charnelle

Suit son cours, petit à petit.

Arrive la saison nouvelle

Qui, sans encombre, passe aussi.

Mais voilà juin ! L'on se rappelle

Qu'il est peut-être temps ici

D'abandonner la tarentelle,

Théâtres et garden-party,

Et de préparer les dentelles

Que l'on destine à ce petit.

Des raisons, d'ailleurs matérielles,

Dont l'effet chaque jour grossit,

A l'anxiété maternelle

Ajoutent leur poids alourdi.

Le médecin que l'on appelle

Se montre d'abord imprécis :

C'est la méthode habituelle,

La meilleure et qui réussit.

En cela d'ailleurs il excelle :

"Depuis quand cela... et ceci...

"Et les nausées... habituelles...

"C'est parfait, c'est parfait, j'y suis !

"Mon opinion personnelle

"Eh bien Madame la voici :

"Vous n'avez pas d'omphalocèle,

"De hernie ni d'hydropisie ;

"Vous êtes de façon formelle

"Enceinte et je le garantis."

Et cet Esculape modèle

Complète ainsi son diagnostic :

"Quand à la date éventuelle

"Que choisira notre loustic

"Pour sortir de cette chapelle

"Où, comme un diable qu'on bénit,

"Il s'agite et frappe et martèle,

"Ce sera dans un mois d'ici."

Le docteur, chose naturelle,

Vient souvent et chaque fois dit,

Appuyant sur la chanterelle :

"Dans vingt jours, dans quinze, dans dix."

---

On nous fait part de la nouvelle,

Dans mon coeur je me réjouis.

Ah ! pensais-je, ma toute belle,

J'ai gagné, je crois, mon pari.

Et la présence maternelle

Qu'à cette époque l'on convie

Pour les précautions rituelles

Comme vous pensez, raffermit

Plus encore dans ma cervelle

La certitude que j'ai mis

Dans le mille ! Spirituelle

Ironie aux péripéties :

Malgré tant de raisons formelles

Les jours passèrent et les nuits.

L'enfant restait dans sa nacelle

Et j'avais perdu mon pari !

Pour le mal de mon escarcelle

Le premier septembre il naquît !

---

La morale n'est pas nouvelle

De cette histoire, et la voici :

Dans la vie oncques ne te mêle

D'émettre un pronostic précis

Où la science maternelle

Peut se tromper souvent... et puis

Mon héroïne était de celles

Ne portant pas neuf mois mais dix !

 

Autre version de la dernière strophe :

 

Mais j'abuse et toutes les ailes

De cette chansonnette en si

Lassent votre attention rebelle

C'est une scie, assez, assis.

Ne craignez rien, la rime en elle

A sa fin comme celle en si

Il m'en reste une encore ? laquelle ?

Je vous la dois et c'est merci !

 

 

 

 

 

COUPS DE FUSAIN

A tous les habitués des Petites-Dalles.

 

Entre quatre vers voici de sobres épigrammes,

L'acide n'en est pas dosé gramme par gramme ;

Certains y sont peut-être trop avantagés,

D'autres, excusez m'en, un peu trop négligés.

 

Mais quatre vers c'est court, et ces modestes traits

N'ont pas la prétention de viser aux portraits.

Pourtant si par méchante ou par bonne fortune

Vous vous reconnaissez, que ce soit sans rancune.

 

Aux Dalles, cet été, comme une épidémie

Une fièvre a sévi parmi les estivants :

La fièvre "carte" car, dés le soleil levant,

Leur foule allait bridger, encor tout endormie.

 

Madame JOANNE

 

Toujours alerte et jeune, heureuse destinée,

Elle était la plus gaie et prête à prendre part

Ardente à tous combats, que ce soit tôt ou tard.

Ce fut pour les joueurs la Guide-à-la-Joy-née.

 

Monsieur CHANDELIER

 

Le noble successeur des seigneurs de Blowitz

Au bridge chaque jour n'a pas son Austerlitz.

C'est qu'il tente parfois de téméraires bottes

C'est le jongleur de Notre-Dame-des-Lampottes.

 

Madame TISSIER

 

En tous temps, en tous lieux, un sourire appuyé

Fleurit sur son visage et la personnalise,

Reflet de ses goûters aux mille friandises :

Bref bien plus de douceurs que chez le "pas Tissier".

 

Monsieur RENARD

 

Un repas succulent est comme un beau discours :

S'il est tel le plus long vous paraîtra trop court,

Et par certains morceaux vous serez comblé d'aise :

Vous redemanderez du Renard rouennaise.

 

Madame CHANDELIER

 

Sa bonté pour autrui est parfois tyrannique

Tout comme sa passion pour la dame de pique

Qu'elle voie un bridgeur, elle l'aura prisonnier,

Mais demeure pour la fille du Gaulier.

 

Monsieur PINON

 

Fin, son regard matois filtrait sous sa paupière,

Il n'était pas bavard, mais toujours attentif ;

Son geste mesuré jamais n'était hâtif :

On l'avait surnommé le malin de not'ère.

 

?

 

Elégante et parée, aux Dalles comme à Nice,

Bérénice se pose aux bords du flot changeant,

Après avoir posé sur sa tête, engageant,

Chaque jour un béret tout neuf : ah "Béret Nice".

 

Monsieur Francis CROS

 

Il vole en écoutant la chanson éternelle

Que le vent fait chanter aux fils de ses haubans

Comme au creux de son coeur un amour tout flambant,

Il vole, à tout jamais amoureux des chants d'ailes.

 

Madame BAUBY

 

Elle était volubile, et les phrases hâtives

Se bousculaient sans ordre en un vain branle-bas,

Epuisant quelquefois vos forces auditives :

C'est l'inconvénient du bo-bi-ba-ba-ba.

 

Monsieur MOURER

 

On m'affirme qu'Arthur se met en oraison

Afin qu'à bref délai se vende sa maison

Plus de trois cents billets : nulle plaisanterie.

Vous serez appâté : Mourez pour l'appât prie !

 

Madame DELCROIX

 

Elle disait un jour avoir pour tous les hommes

Un honnête penchant, c'est l'effet de la pomme.

Mais comme cependant d'autres en ont trop peu

Il faut la promouvoir "Reine Delcroix de feu".

 

Monsieur COLOMB

 

On devrait, c'est certain, rester un vrai marin

Quand on porte ce nom si grand dans la marine.

Au Christ offre, O Colomb, les traits que ta cousine

Décoche aux culs-terreux avec tant de dédain.

 

Monsieur André LESNE

 

Il est doux, émotif, prudent, souvent en vaine,

Sût par là conquérir plus d'un coeur féminin,

Et tout en savourant cet aimable butin

Il enfouit son gain au fond du bas de Lesne.

 

Madame LAMARCHE

 

N'avoir jamais que des effets peu recherchés

Se montrer en tous points et toujours si sincère

Qu'elle n'a plus pour nous, en fait, rien de caché

Telle en était la Marche et telle est la manière.

 

Monsieur FROMENT

 

Daudet l'a dit, quand Froment jeûne

Hérissé, l'air haineux, il ne supporte rien.

Il n'est heureux que s'il déjeune

Mais encore faut-il qu'il déjeune très bien !

 

?

 

Très bien, d'ailleurs c'est sa devise.

Cette dame le sait, qui témoignait hier

De sa brillante gaillardise !

A sa place, messieurs, tous nous en serions fiers !

 

Monsieur Jules LANGE

 

Avec son nez majeur et son nom séraphique

Il conçoit, organise, et perd tous les tournois.

Sa technique polie est de Polytechnique,

Mais plus d'un partenaire en souffrit mainte fois.

 

 

 

 

 

 

EN QUITTANT ALES

 

Dans ce bel Alès

Nous avions Bialès

Bardon,

Le Gardon,

Et puis la baronne.

Mais à Saint Aubin

Nous avons le bain

Normand.

Océan !

Que ton eau est bonne !

 

Vous, dans ce mazet,

Où l'on sait causer

Itou

Et de tout

Avec sa voisine,

Vous avez les prés

Où l'on met au frais,

Plaisant

Passe-temps,

Le bas de l'échine.

 

Nous serons repris

Par Paris... Paris,

Chez moi

Quel émoi

 

Quand je te retrouve !

Tu sais nous charmer,

Nous savons t'aimer,

Du coeur

La ferveur

Est là qui le prouve.

 

Qu'importe les lieux

Où, jeunes ou vieux,

Hasard

Sans égard

Pour nos rhumatismes

Tu nous fais passer.

Crois-tu nous lasser ?

Charmants

Changements

Sont-ils cataclysmes ?

 

Il faut accepter

Les nécessités :

Du bon

Elles ont

Quand on sait les prendre.

Prenez le présent

Même insuffisant,

D'ailleurs

C'est meilleur

Que de s'en défendre.

1925