C'est un beau cinéma joyeux Que j'admire de ma fenêtre ; Le cadre en est banal peut-être Mais le spectacle est délicieux. Une rue étroite, un jardin, Dans le mur une porte basse, Et tout au fond une terrasse En plein soleil, dés le matin. Chaque jour j'y vois mon cousin Qui laisse flotter à la brise Les pans de sa longue chemise, Rude chemise de basin. A la même heure il apparaît, Exactitude militaire, Pourtant son habit ne l'est guère ! Cela se compense, il est vrai. Il se promène sans façon Avec un grâce légère, Et ça vous fait froid au derrière De le voir ainsi sans caleçon. Il se rase, il flâne, il est bien, Et moi je reste à ma fenêtre Attendant l'instant où peut-être Il se promènera sans rien. Mais cet instant ne vient jamais ; S'il aime un vêtement pratique Mon cousin pourtant est pudique Et l'on ne saurait l'en blâmer. Se promènerait-il tout nu, Quelque belle que soit la pose Je n'y gagnerais pas grand chose ! Le fait serait bientôt connu : Une foule, tout en émoi, Deux cents, cinq cents, peut-être mille, Envahirait mon domicile, Et je ne serais plus chez moi. Mais j'y pense : j'ouvre un guichet Et je ferai louer des places En face de cette terrasse A tout ce public aguiché. |
Autre version du même poème :
Flottons, flottons légèrement Flottons, liquette au gré des vents.
Chaque jour à la brise Fait flotter mon cousin Les pans de sa chemise Chemise de basin.
Flottons, etc...
Je vois de ma fenêtre Ce spectacle gracieux Aucun film ne peut être Plus agréable aux yeux.
Précision militaire A l'heure il apparaît Sa tenue ne l'est guère Ca compense il est vrai.
D'une grâce légère Il erre sans façon Ca fait froid au derrière De le voir sans caleçon.
J'attends à ma fenêtre Admirant son maintien Espérant que peut-être Il restera sans rien.
Gagnerais-je grand-chose S'il se mettait tout nu Si belle soit la pose Je suis dans l'inconnue.
A moins que j'organise Sous un profit certain Sans sa blanche chemise La vue de mon cousin.
Car en cette occurrence Une foule en émoi Dévorée d'impatience Se presserait chez moi.
Chacun paierait sa place Au moins quatre louis Mon cher cousin de grâce Montre toi donc ainsi.
Je te fais la promesse Cela doit te toucher De partager la caisse En toute honnêteté.
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Nous habitions dans le seizième Entre Vignes et Marronniers. Quel cadre pour les chansonniers Et pour un blason quel emblème.
Aux fruits de cet arbre, en effet, Sur fond de gueules, simple et digne, Imaginez : feuille de vigne Servant d'écran ou d'attifet.
Malgré cet appel symbolique Et l'urgence d'en faire cas, De feuille je n'en avais pas Au seuil de ce moment tragique.
Un dimanche, en sortant du bain, Dans la plus légère tenue, J'entends une voix ingénue Qui sur un petit ton badin
Me demande : "mon parapluie Puis-je l'avoir ? Peut-on entrer Il ne faut pas s'opiniâtrer Contre ce temps et cette pluie".
-"Je vous préviens , Belle Maman, D'obstacle je n'en veux point mettre Mais, tel l'enfant qui vient de naître Je suis tout nu, cyniquement".
Avec la pudeur que comporte Un embarras bien naturel, Nonobstant cet avis formel Belle Maman ouvre la porte.
A son clou, dûment replié, Pend l'ustensile qu'elle guette, Elle le décroche, muette, Et preste, l'ayant déployé,
Derrière ce masque recule, Main entr'ouverte sur les yeux, Cependant que, les miens aux cieux Dans un garde-à-vous ridicule,
Mais presque napoléonien Au mieux j'utilise la mienne ! Honni soit qui mal en retienne, Car tout est bien qui finit bien. |
1940
Croirait-on que le front si pur, L'oeil si clair de cette enfant sage Puissent cacher des coups si durs Que les MOTS NI QUE les images Ne sauront jamais expliquer. Dieu le voulut pour compliquer Notre vie à nous, pauvres hommes Qui partageons si bien les pommes Quand avec grâce on nous les tend ; Le geste est toujours si tentant ! Nous en plaindrons nous, ô bergère ? Quelques sautes de caractère Qui viennent et vont, soulevant Un peu de pluie, un peu de vent, Un peu de bruit et quelques larmes Font mieux apprécier vos charmes. |
Le ruban violet de l'Académie Vient d'échoir à mon doux biquet Pour récompenser, dit-on, l'eurythmie De sa lancée au Bilboquet.
Chère épouse, j'en suis épris ! Je l'aime plus que tout au monde Ce bilboquet que tu m'offris. J'aime son buis, sa boule ronde, Sa broche et son trou de souris.
Si le trou lorsque je l'approche Se dérobe, fuyant l'accés, J'enregistre cette anicroche Et cherche, d'essais en essais, La meilleure pente à ma broche.
De tous les coups c'est le premier De beaucoup le plus difficile ; Mais lorsque j'ai trouvé le biais Dix fois de suite je l'enfile. Tu peux, chérie, en témoigner !
Je me limite à ce dixième : C'est un exploit assez coquet. D'ailleurs peut-on, autant qu'on l'aime, Toujours jouer au bilboquet, Hercule fit-il mieux lui-même ?
Ainsi donc je m'éjouissais Avec ma belle boule d'onze Centimètres ! C'était assez Bien qu'elle ne soit pas de bronze Pour m'assurer de beau succès.
Mais depuis que ma bonne mère, Dont le rêve évoquait du neuf M'a fait, pour mon anniversaire, Cadeau d'une boule de neuf Centimètres, ah ! quelle affaire.
Quand je songe que chaque soir J'alignais mes dix coups sans peine, Et que aujourd'hui tout mon espoir Est d'en marquer cinq par semaine ! C'est bien fait pour me décevoir.
Et je crains qu'une surenchère Ne contracte la dimension, Et que ma soeur, après ma mère, A ma grande consternation, Ne m'en offre une plus légère.
Supposez donc...(ah j'en ai froid Dans le dos et jusqu'à la fesse)... Qu'elle en achète une de trois Centimètres, quelle détresse ! Et comme il faudrait être adroit !
J'aurai beau corriger la pente, Lorgner le fil, tendre le cou, Malgré son allure aguichante, Ma broche ratera le trou De cette boule décevante.
Sans les palmes j'avais vécu ; Aujourd'hui quelle décadence ! Puisque palmé je suis vaincu. La femme a brisé ma cadence, Ah Sirène ! Tu m'as donc eu ! |
Décembre 1950
Stances à Pierre P.
16 juillet 1934