A Monsieur Perdreau
As du golf et de l'astronomie
Perdreau, laisse tes clubs, allons vers les étoiles ! La nuit propice étend son aile sur les prés. Viens compter les clous d'or où s'attachent les voiles Qu'elle a tirés ce soir sur les cieux empourprés. Le tapis au dessus duquel volait ta balle Sous le reflet lunaire a perdu tous ses trous ; Assurons ton trépied, extrayons de ta malle L'engin mystérieux, et serrons les écrous. Pour toi je veux ouvrir, mission merveilleuse, Tous les volets les plus secrets de l'univers. J'ai vu MARS, l'autre soir, éphémère veilleuse, Poser son phare rouge aux toits de Montenvers. Ecoute, ô mon amant, ta fidèle compagne : Tendrement enlacés, sur le pré libertin, Tous deux nous verrons MARS surgir de la montagne ! Laisse tes clubs, Perdreau, jusqu'à demain matin.
Je veux bien, amante chérie, Suivre ton inspiration, Mais cependant la théorie Dément ton affirmation. N'as-tu pas pris quelque lumière Pour l'astre que nous recherchons. L'erreur est bien dans ta manière : Tu t'es monté le bourrichon. J'ai consulté mon annuaire, Calculé la déclinaison, MARS est beaucoup plus loin derrière Et bien plus bas sur l'horizon. Pourtant en gravissant la pente Vers Argentière ou les Montets Peut-être en quelques tours de jante Pourrons-nous la voir remonter. Mettons en route la voiture, Sic itur, ma chère, ad astra Et découvrons cette échancrure Où la planète apparaîtra.
Monter plus haut toujours, ô mon cher astronome, C'est le plus excitant des plaisirs d'ici-bas. C'est le plus noble orgueil des rampants que nous sommes. C'est pour quoi sans répit tout mon être flamba. Vois comme l'air est pur, comme la nuit est douce, O poète du ciel, ô mon cher compagnon, Vois comme nous grimpons sans la moindre secousse, Respire les parfums dans lesquels nous baignons. Lorsque le montagnard redescend vers les plaines, Hâlé par le soleil, par la pluie et le vent, Les yeux encor tout pleins de beauté surhumaines, Les poumons exaltés, il souffre bien souvent : Il regrette ces monts, leurs glaces et leurs roches, Les séracs, les névés, et le refuge étroit, Où, le corps sans confort mais l'âme sans reproche, On oublie, on admire, on s'émeut, et l'on croit ! Purifié par la blancheur troublante de ces cimes, Savourant le présent sans peur des lendemains, Il voudrait ne jamais quitter ces lieux sublimes, Ne jamais retourner vers les bas fonds humains. C'est comme moi, vois-tu ! Qu'avec cette voiture Filant, montant ensemble à travers les sapins, Nous demeurions toujours dans cette nuit obscure, Quelle félicité, quelle douceur sans fin !
Je crois, Muse, que tu dérailles. Sais-tu bien que nous cherchons Mars ! Qu'il faut scruter toutes les failles Du plus aigu de nos regards. O joie ! à ce dernier virage Voici que ces premiers rayons Récompensent notre courage. Saluons l'apparition. Arrêtons sur cette terrasse Et déballons notre appareil, Nous allons enfin face à face Contempler l'astre sans pareil.
Puisqu'il faut obéir à ta froide exigence Laisse choir, ô savant ton amante et ta soeur. Saisis de ce gibier l'attrayante émergence, Tu n'es plus mon Perdreau, tu n'es plus qu'un chasseur ! |
Penses-tu, faisant du bien, Recevoir de ton prochain Marques de reconnaissance ? Mon ami, n'y compte pas. Faire le bien ici-bas Porte en soi sa récompense.
Et si, parfois, bonne action S'illustre, par exception, De gratitude louable, Dis toi que c'est anormal, Car du bien moins que du mal Le souvenir est durable.
Ce boni, ce supplément, Qui, miraculeusement, T'échoit sans que tu l'attendes, Ne te revient pas de droit, Il te comble, par surcroît, C'est un second dividende. |
Ondulez, cannes savoureuses Et flamboyez fleurs merveilleuses ! Balance, palmiste orgueilleux !
Roulez, moulins infatigables Et résistez, coeurs indomptables Toujours français et toujours mieux !
Ensorcelle moi, Mauricienne ! L'amour, autant qu'il m'en souvienne, Féconde et rehausse l'effort.
Attire moi, île magique, Retiens moi, rêve magnifique, Et par ton calme rends moi fort ! |
Si j'ai connu trop tard cette perle française, Sertie au creux des flots de l'hémisphère austral, Dont le pur orient, au reflet ancestral, Illumine l'enclos de sa coquille anglaise ;
Si je n'ai pu jouir avec l'âme de braise Du fier adolescent, égoïste et brutal, Et des fleurs et des fruits, du charme sans égal Que Dieu pour notre amour tira là de la glaise ;
Je veux, ineffaçable encore que tardif, Garder en mon vieux coeur le souvenir très vif D'un séjour enchanteur et de ma gratitude ;
Beau comme le plus beau que la vie y a gravé, Je veux en l'évoquant, bercer ma certitude De vivre pour revoir cet Eden retrouvé. Je veux, en l'évoquant, dans un magnificat Affirmer mon espoir, bercer ma certitude De revenir en ce paradis : à Dieu va ! |
Sur notre pauvre boule ronde Où nous passons si peu de temps, De soi chacun est si content Qu'il se croit le centre du Monde.
Mathématiquement c'est vrai ! De l'infini la périsphère A son centre où l'on veut le faire Là-bas, très loin ou bien tout près.
Et comme chacun ne rapporte Chaque fait qu'à son propre moi, Moralement il va de soi Qu'il en est de la même sorte.
Cette étonnante volupté A passer pour un phénomène Caractérise l'âme humaine, Son insondable vanité.
Mais constatons en vérité Que cette curieuse tendance N'a, de fait, aucune importance Puisqu'elle est généralité. |
Voulez-vous faire un bon dîner : Homard au porto, puis poularde Aux morilles ? de Chabanais Cherchez la rue, elle est gaillarde Et même, avouons le, paillarde. Aussi n'est-ce qu'en tapinois, Le long des murs, que se hasarde Qui vient au "gratin dauphinois".
De ces vins que hume le nez Dans une attente où l'on s'attarde Prenez, Pouilly, Jura, prenez : Au coeur ils font cocarde. Une négresse goguenarde Vous les offre en gestes benoîts : Elle insiste, elle vous regarde Et verse au "gratin dauphinois".
Je ne veux pas vous soupçonner De quelque intention égrillarde ; Cependant s'il vous advenait D'entrer en face, par mégarde, Soyez prudents. Que Dieu vous garde ! Vous dites qu'on est pas de bois : Oui ! mais pour votre sauvegarde Restez au "gratin dauphinois".
Prince, quittons notre mansarde ; Ces gastronomiques tournois N'admettent pas qu'on les retarde : Allons au "gratin dauphinois". |