Qu'est-ce donc que cette languette Que pointe ce vieux loup de mer ? Serait-ce le mât d'un cutter, L'un des deux d'une goélette, Ou la misaine d'un trois-mâts, Que lui laissa dans sa retraite Pour exalter sa silhouette Cette marine qu'il aima ? Il en pût faire un piédestal Un hampe, un signal, un pal. Il préféra, tel un crotale, Le tenir sur l'horizontale Et le bouter hors comme un dard. Après tout, c'est aussi mignard ! Plaçant l'un des bouts dans son bec, A l'autre il met sa cigarette, Qu'en avant sa fougue projette, Et traverse les murs avec ! Comme lui-même le proclame Ce geste, c'est tout un programme ! |
Il ne lui manque qu'un bouchon Pour achever sa tourelle ; D'aucuns trouveront folichon Que ce rien, cette bagatelle Puisse être chose essentielle ; Mais détrompez-vous, brimborion Capital que ce rien rebelle : C'est le bouchon porte-fanion.
Dans leur char, à califourchon, Pour que les pointeurs sur leur selle Centrent leur tir sur le cochon, Il faut un fanion : tout chancelle Si, dressé comme une chandelle, Il ne fixe la direction. Son support, logique formelle, C'est le bouchon porte-fanion.
Se frappant en vain le nichon, A Jupiter il en appelle ; Il mène un train de patachon, A chacun il cherche querelle, Et, miaulant comme un violoncelle, Harmonie et lamentation, Il ressasse sa ritournelle : C'est le bouchon porte-fanion.
Envoi
SIRE, IL Y perdra la cervelle S'il ne reçoit satisfaction. Vous savez l'objet de son zèle : C'est le bouchon porte-fanion. |
Février 1940 - Jean GELLUS
Les voilà donc tous ces bouchons, Responsables de cette crise ; Portant le trou que nous cherchons Les voilà donc tous ces bouchons ! Les fanions que nous y fichons Joyeux flotteront à la brise. Les voilà donc tous ces bouchons, Responsable de cette crise.
Quand on lui parle de bouchons Sa prunelle demeure claire ; Sans danger nous en approchons Quand on lui parle de bouchons. Aux traits que nous lui décochons Il ne se met plus en colère, Quand on lui parle de bouchons Sa prunelle demeure claire.
Que Monseigneur tire-bouchons Soit le nom que son art réclame ! Beaucoup moins bien nous arrachons Que Monseigneur tire-bouchons Ceux auxquels nous nous accrochons. Ce titre c'est tout un programme. Que Monseigneur tire-bouchons Soit le nom que son art réclame ! |
Février 1940 - Jean GELLUS
Il était une fois un femme un peu grise Qui, voyant dans un pré ce jeune âne attaché, Confondit les couleurs et cria sa surprise De le croire de vert tâché.
Elle appela son fils qui dans le voisinage Poussait deux grands boeufs roux, appuyé sur son soc, Et chantait un refrain, pour avoir à l'ouvrage, Le coeur solide comme un roc.
Le prenant à témoin : "tu vois, Jules," dit-elle, "Le beau pelage vert de cet aliboron !" Et son doigt désignait la paisible haridelle Qui dans le pré paissait en rond.
"Ma mère," répondit le fils, "si l'herbe est verte "Qu'ici cet âne tond, vos yeux se sont mépris, "Et je suis bien fâché de cette découverte, "Mais comme vous cet âne est gris !" |
En cette maison attirante On trouve tous les samedis L'accueil d'une hôtesse charmante, On y vient si cela vous chante, On s'abstient si ça ne vous dit. Guidés par un docteur ès-danses De jeunes et riants minois Se délectent d'une cadence Que de vieux messieurs sans prudence Cherchent à rythmer, l'oeil benoît. Sur leurs crânes, polis et roses, Où comme sur le sol glissant On peut se mirer, si l'on ose, A chaque tour des yeux se posent Moqueurs ou peut-être innocents. Des bridgeurs autour de dix tables Contrent ou passent sans arrêt, Tel plus sûr de lui que capable, Tel au visage imperturbable Mais moins sérieux qu'il le paraît. Des mains de troublantes déesses Ils prennent sans se déranger, Tant leur passion du jeux les presse, De fraîches boissons, puis les laissent Se réchauffer sans y songer.
Des gourmands sous quelque prétexte S'en vont rôder vers le buffet ; Ils se servent d'une main leste Dont à peine on saisit le geste Mais dont ils savourent l'effet. Du tabac êtes-vous avide ? Vous fumerez sans restriction, Et pourrez, invité cupide, En garnir votre poche vide Avec ou bien sans discrétion. Deux ou trois fois l'an se produisent Les anglaises de la maison : Leurs jeunes talents rivalisent, Leurs langues se familiarisent Dans l'art de la conjugaison. Et nous, batailleurs mais fidèles, Sans partager du fier Dunois La patriotique querelle, En cette ambiance colombelle Livrons de palpitants tournois. Ces mille charmes nous attirent : De l'hôtesse l'accueil exquis, L'amabilité, le sourire, Font de ce tout petit empire Un véritable paradis Tous les samedis. |
Abandonnant la charmelaine Et autres tissus de kasha, Sous le blanc linon, noir d'ébène, Notre épiderme qu'il cache à Peine a des reflets métalliques.
De ses rayons ardents qu'il darde Dans une éclatante lueur, Sans pitié le soleil nous larde, Indifférent à nos sueurs, Aux subtils relents balsamiques.
En certains endroits plus sensibles Ou plus fortement attaqués Par l'astre qui nous prend pour cibles Notre peau finit par craquer N'étant plus assez élastique.
A la fin des jours de vacances, Heureux mais laids et très pelés, Nous nous retrouvons en Byzance, Le cuir proprement décollé, Suivant des tracés drolatiques. |