Qu'est-ce donc que cette languette...

 

Qu'est-ce donc que cette languette

Que pointe ce vieux loup de mer ?

Serait-ce le mât d'un cutter,

L'un des deux d'une goélette,

Ou la misaine d'un trois-mâts,

Que lui laissa dans sa retraite

Pour exalter sa silhouette

Cette marine qu'il aima ?

Il en pût faire un piédestal

Un hampe, un signal, un pal.

Il préféra, tel un crotale,

Le tenir sur l'horizontale

Et le bouter hors comme un dard.

Après tout, c'est aussi mignard !

Plaçant l'un des bouts dans son bec,

A l'autre il met sa cigarette,

Qu'en avant sa fougue projette,

Et traverse les murs avec !

Comme lui-même le proclame

Ce geste, c'est tout un programme !

 

 

 

 

A MONSIEUR L. CIRILLI

 

27 bouchons porte-fanion ont été expédiés ce jour...

( Gazette de la D.F.I. du 17 février 1940 )

 

Il ne lui manque qu'un bouchon

Pour achever sa tourelle ;

D'aucuns trouveront folichon

Que ce rien, cette bagatelle

Puisse être chose essentielle ;

Mais détrompez-vous, brimborion

Capital que ce rien rebelle :

C'est le bouchon porte-fanion.

 

Dans leur char, à califourchon,

Pour que les pointeurs sur leur selle

Centrent leur tir sur le cochon,

Il faut un fanion : tout chancelle

Si, dressé comme une chandelle,

Il ne fixe la direction.

Son support, logique formelle,

C'est le bouchon porte-fanion.

 

Se frappant en vain le nichon,

A Jupiter il en appelle ;

Il mène un train de patachon,

A chacun il cherche querelle,

Et, miaulant comme un violoncelle,

Harmonie et lamentation,

Il ressasse sa ritournelle :

C'est le bouchon porte-fanion.

 

Envoi

 

SIRE, IL Y perdra la cervelle

S'il ne reçoit satisfaction.

Vous savez l'objet de son zèle :

C'est le bouchon porte-fanion.

Février 1940 - Jean GELLUS

 

 

 

 

 

 

A MONSIEUR L. CIRILLI

 

...27 bouchons porte-fanion viennent de lui parvenir

( Gazette de la D.F.I. du 20 février 1940 )

 

Les voilà donc tous ces bouchons,

Responsables de cette crise ;

Portant le trou que nous cherchons

Les voilà donc tous ces bouchons !

Les fanions que nous y fichons

Joyeux flotteront à la brise.

Les voilà donc tous ces bouchons,

Responsable de cette crise.

 

Quand on lui parle de bouchons

Sa prunelle demeure claire ;

Sans danger nous en approchons

Quand on lui parle de bouchons.

Aux traits que nous lui décochons

Il ne se met plus en colère,

Quand on lui parle de bouchons

Sa prunelle demeure claire.

 

Que Monseigneur tire-bouchons

Soit le nom que son art réclame !

Beaucoup moins bien nous arrachons

Que Monseigneur tire-bouchons

Ceux auxquels nous nous accrochons.

Ce titre c'est tout un programme.

Que Monseigneur tire-bouchons

Soit le nom que son art réclame !

Février 1940 - Jean GELLUS

 

 

 

 

 

LA MERE, SON FILS ET L'ANE

 

Il était une fois un femme un peu grise

Qui, voyant dans un pré ce jeune âne attaché,

Confondit les couleurs et cria sa surprise

De le croire de vert tâché.

 

Elle appela son fils qui dans le voisinage

Poussait deux grands boeufs roux, appuyé sur son soc,

Et chantait un refrain, pour avoir à l'ouvrage,

Le coeur solide comme un roc.

 

Le prenant à témoin : "tu vois, Jules," dit-elle,

"Le beau pelage vert de cet aliboron !"

Et son doigt désignait la paisible haridelle

Qui dans le pré paissait en rond.

 

"Ma mère," répondit le fils, "si l'herbe est verte

"Qu'ici cet âne tond, vos yeux se sont mépris,

"Et je suis bien fâché de cette découverte,

"Mais comme vous cet âne est gris !"

 

 

 

 

 

SAMEDIS

A Mademoiselle Manilève

 

En cette maison attirante

On trouve tous les samedis

L'accueil d'une hôtesse charmante,

On y vient si cela vous chante,

On s'abstient si ça ne vous dit.

Guidés par un docteur ès-danses

De jeunes et riants minois

Se délectent d'une cadence

Que de vieux messieurs sans prudence

Cherchent à rythmer, l'oeil benoît.

Sur leurs crânes, polis et roses,

Où comme sur le sol glissant

On peut se mirer, si l'on ose,

A chaque tour des yeux se posent

Moqueurs ou peut-être innocents.

Des bridgeurs autour de dix tables

Contrent ou passent sans arrêt,

Tel plus sûr de lui que capable,

Tel au visage imperturbable

Mais moins sérieux qu'il le paraît.

Des mains de troublantes déesses

Ils prennent sans se déranger,

Tant leur passion du jeux les presse,

De fraîches boissons, puis les laissent

Se réchauffer sans y songer.

 

Des gourmands sous quelque prétexte

S'en vont rôder vers le buffet ;

Ils se servent d'une main leste

Dont à peine on saisit le geste

Mais dont ils savourent l'effet.

Du tabac êtes-vous avide ?

Vous fumerez sans restriction,

Et pourrez, invité cupide,

En garnir votre poche vide

Avec ou bien sans discrétion.

Deux ou trois fois l'an se produisent

Les anglaises de la maison :

Leurs jeunes talents rivalisent,

Leurs langues se familiarisent

Dans l'art de la conjugaison.

Et nous, batailleurs mais fidèles,

Sans partager du fier Dunois

La patriotique querelle,

En cette ambiance colombelle

Livrons de palpitants tournois.

Ces mille charmes nous attirent :

De l'hôtesse l'accueil exquis,

L'amabilité, le sourire,

Font de ce tout petit empire

Un véritable paradis

Tous les samedis.

 

 

 

 

 

 

ETE

 

Abandonnant la charmelaine

Et autres tissus de kasha,

Sous le blanc linon, noir d'ébène,

Notre épiderme qu'il cache à

Peine a des reflets métalliques.

 

De ses rayons ardents qu'il darde

Dans une éclatante lueur,

Sans pitié le soleil nous larde,

Indifférent à nos sueurs,

Aux subtils relents balsamiques.

 

En certains endroits plus sensibles

Ou plus fortement attaqués

Par l'astre qui nous prend pour cibles

Notre peau finit par craquer

N'étant plus assez élastique.

 

A la fin des jours de vacances,

Heureux mais laids et très pelés,

Nous nous retrouvons en Byzance,

Le cuir proprement décollé,

Suivant des tracés drolatiques.