DENAIN

Déjeuner du 10 mai 1951 à Denain

 

Chère Madame, mes chers Amis,

 

Ce matin, au petit déjeuner, faisant écho au trois mots que j'évoquais : MALECH - BOUKRA - INCH'ALLAH : Qu'importe - Jamais - S'il plaît à Dieu - qui caractérisent l'âme arabe et la façon dont elle comprend le temps, notre ami SAINT-GIRONS, qui est un érudit et un poète, nous rappelait ce quatrain du 18° siècle :

 

Je donne à l'oubli le passé,

Le présent à l'indifférence,

Et pour vivre débarrassé

L'avenir à la Providence !

 

Et en y pensant tout à l'heure, je constatais combien sous sa grâce légère ce quatrain exprime des idées fausses !

Comment pourrions-nous en effet vouer le Présent à l'indifférence, alors que nous goûtons pleinement la joie de réunir tant d'amis autour de cette table :

- les administrateurs de CAIL et de VERMANDOISE,

- leurs directeurs,

- un juriste, un médecin, un économiste, trois agriculteurs, un très ancien ingénieur de Cail, un représentant particulièrement qualifié de nos collaborateurs, et vous, Madame que je m'excuse de nommer la dernière, mais je gardais le meilleur pour la fin, qui nous apportez la lumière de votre sourire.

Quelle heureuse rencontre ! nous ne l'oublierons pas. Pas plus que nous n'oublions tout le Passé qui nous domine, nos traditions qui nous enseignent et nous guident.

 

Non le Passé n'est pas fait pour l'oubli. Il nous inspire et nous conduit.

Il nous conduit vers l'avenir, pour lequel bien sûr nous implorons la clémence divine, mais qui sera, dans une large mesure, ce que nous le ferons:

Aide-toi, le ciel t'aidera.

Aussi, permettez-moi, en contradiction complète avec la pensée que j'ai prise pour thème, de lever mon verre en votre honneur :

- pour célébrer le Présent,

- pour glorifier le Passé,

- pour marquer ma confiance dans nos efforts vers l'Avenir.

 

 

 

VOEUX

Le 31 décembre 1953

 

C'est avec joie que je vous réunis, une fois encore, en cette fin d'année après Noël et avant que sonne le dernier coup de minuit de 1953.

C'est en effet le moment où l'on peut, où l'on doit redire son espérance, sa confiance et affirmer sa volonté de tout faire pour ne point les décevoir.

Certes l'année 1953 fut difficile. Les problèmes ardus qui se posent aux hommes, aux entreprises, aux gouvernements, exigent de la clairvoyance et du courage. Mais pourquoi désespérerait-on ?

Il existe dans notre pays des ressources individuelles morales et intellectuelles, des richesses nationales que tant de destructions n'ont pas épuisées.

Comment ne pourrait-on pas les mettre en valeur ?

Sans doute sommes-nous étonnés et déçus de ce qui se passe autour de nous.

On ne comprend pas qu'il faille treize scrutins à un Congrès parlementaires pour élire un Président de la République.

On ne comprend pas l'efficacité de la grève pour étayer les revendications, même légitimes, alors que ces grèves paralysent l'activité du pays et entraînent de lourdes pertes que tout le monde doit payer.

On ne comprend pas pourquoi nous nous alignons si mal avec la concurrence sur le marché international, qu'il s'agisse de produits agricoles ou de produits industriels.

Que faut-il donc faire pour redresser un comportement évidemment nocif ?

Une seule grande chose en vérité.

Chacun voit en effet clairement ce que le voisin devrait faire et lui reproche de ne pas le faire, mais oublie de se demander ce qu'il devrait faire lui-même.

Chacun songe à soigner ses intérêts personnels, sans penser à ceux du voisin, oubliant que nous sommes tous solidaire.

Tout le secret du redressement réside dans cette compréhension de notre solidarité.

Que les yeux s'ouvre à cette solidarité,

- les parlementaires feront du travail utile et rapide,

- le gaspillage des deniers de l'Etat sera jugulé,

- les revendications légitimes pourront être satisfaites,

- les prix sur le marché extérieur deviendront compétitifs.

 

L'année qui finit a marqué chez Cail une réduction sensible de l'activité. Succédant à un effort important de rénovation de l'outillage, elle a lourdement pesé sur les moyens financiers.

Le département sidérurgique a momentanément maintenu une production satisfaisante, bien que peu rémunératrice. Son avenir est lié à l'organisation du marché européen.

Le département construction qui est à l'origine de notre vocation a particulièrement fléchi. C'est lui qu'il faut aujourd'hui ranimer.

La campagne de la Vermandoise fait un contraste frappant avec celle de l'année dernière. Malgré les sacrifices qu'il faut faire pour exporter les excédents de sucre, nous pouvons espérer qu'elle permettra d'amortir les pertes de l'année dernière et que nous pourrons poursuivre et réaliser la meilleure utilisation de la main-d'oeuvre et du combustible.

Je n'ai pas besoin de développer plus avant cette revue de l'année 1953. Vous en avez suivi au jour le jour les péripéties.

Ce que je veux seulement vous dire, en vous exprimant tous mes voeux pour 1954, c'est mon espérance en votre action, chacun dans son secteur, ma confiance dans votre esprit d'équipe, grâce auquel l'année prochaine à pareille époque nous pourrons enregistrer de meilleurs résultats.