GPX - Voyage de Pentecôte en Suisse.

2 juin 1950

 

Ma chère Bernadette,

 

Je me borne à te donner le compte rendu sommaire de notre voyage au lac de Constance.

79 participants répartis entre 44 familles. Une bonne douzaine de jeunes filles dont quelques unes prolongées, 3 jeunes célibataires, dont Jean Lesne et Jacques Quelquejeu; un doyen (c'était moi), un autre de 6 ans plus jeune, un de 11 ans plus jeune, le gros de la troupe composé de ménages entre 40 et 50. Comme toujours dans ces groupements degré de distinction assez varié. Réunion préparatoire rue de Poitiers où le GPX offrait le porto aux participants. Renseignements divers, distribution des billets, recommandations.

Vendredi soir Gare de l'Est 22 heures, le train démarre à 22h 30 après placement des voyageurs, un wagon couchettes de 1° classe occupé par les camarades cheminots (bien entendu) et les huiles lourdes. Ta mère et moi occupons un compartiment dans un wagon couchettes de 2° classe où sont les plus jeunes, et les démocrates (p. ex Qqj).

On fait un peu connaissance et on ne tarde pas à se coucher, car on démontera les couchettes à Mulhouse à 7 heures du matin (on craint le vol des coussins, couvertures, etc en Allemagne). Nos voitures continuent raccrochées au train normal. Le train est à l'horaire. A la frontière on obtient de ne pas descendre pour la visite des bagages, ce qui est avantageux, car on est chargé, s'étant muni de la tenue de soirée.

Arrivée à Fribourg 9h 1/2. Le Président du GX de la zone occupée Leboullenger est là. Sa femme est revenue de Paris en même temps que nous. Congratulations et aux cars. Courte visite de Fribourg sous la pluie. Belle cathédrale, maisons à l'architecture originale, marché animé. La moitié de la ville a été détruite par un bombardement intense (30.000 morts en moins d'une heure) effectué en représailles de la destruction de Gérardmer.

Après cette courte visite, on s'embarque pour aller prendre un porto d'honneur chez le gouverneur (Pène 1920 Ponts et Chaussées). Résidence très belle dans un parc de haute futaie, ce fut là que résida Stéphanie de Beauharnais, belle enfilade de salons, style empire très pur. Porto somptueux, sandwichs, petits fours, champagne, cocktails, etc. On prend naturellement deux laïus et du retard.

On rembarque pour monter au Feldberg par le lac Titisee (1000 mètres). On traverse la forêt noire. Il pleut. Route tortueuse, grands arbres sombres, site sombre et sévère, mais beau.

Déjeuner retardé par cette matinée chargée au Feldberghof Grand Hôtel bien, sans luxe. Laïus courts, indications sur le programme. A 16 heures on se prépare à rembarquer. Il pleut (cette fois des hallebardes). On se hâte vers les cars (ils sont trois) et chaque chef de car fait l'appel. Il manque Jean Lesne. On attend. Le temps passe. Thérèse s'excite : "Il s'est trouvé mal aux cabinets" dit-elle et veut aller le chercher. On la retient lui expliquant que si les présents deviennent des absents ca n'arrange rien. Je vais en reconnaissance, pas loin, au car voisin. Ils sont incomplets aussi. Il manque une de ces demoiselles (Melle Angot 36 ans), mais nonobstant ces 11 ans d'écart on suppose que ces deux manquants son ensemble. Mais le temps passe et il pleut toujours, et dans le car on blague cette escapade, qui fera l'objet dimanche soir d'une pochade en vers du camarade Lissacq, très spirituelle, que Thérèse déclarera de très mauvais goût. Enfin voilà nos deux galopins qui apparaissent trempés. Ils étaient allés faire une petite promenade. Il est grand temps de partir. Il est près de 4h 1/2 et nous avons 4 à 5 heures de route. Route longue, un peu monotone sous la pluie. Vers 6 heures cependant le temps se lève, mais on roule sans arrêt; juste une courte halte pour le commun-pipi. La nuit est proche, nous arrivons à la pointe nord du lac mais il faut descendre jusqu'à la pointe sud à Lindau. Il est 9 heures quand nous atteignons ses faubourgs. Les voyageurs s'énervent un peu, et cet état d'âme s'affirme lorsque guides et chauffeurs s'interrogent : où va-t-on ? Tout le monde l'ignore. Tout le monde devrait le savoir, puisque les instructions écrites que nous avons eu en mains indiquent : point de ralliement Bayerischeshof. On finit par s'en souvenir, mais c'est insuffisant car les chauffeurs ne connaissent pas la ville. Tous les cents mètres on demande son chemin. Nos hôtes nous attendent à l'hôtel, mais nous, nous tournons en rond vers le Bayerisches. Enfin nous y sommes. Il est 9h 1/2 bien tassées. Guy est furieux, et comme il explose volontiers, il ne s'en prive pas. Les organisateurs sont furieux à leur tour. Charlette sermonne Guy, qui déclare se désintéresser de tout. Pendant ce temps on se met à table; et tu penses comment 80 personnes arrivant à 10 h du soir peuvent se faire servir. Je me mets en rogne à mon tour, cependant que ta mère me gourmande à juste titre, car elle, elle ne perd dans de telles circonstances, ni son calme ni sa dignité.

On dîne tant bien que mal, puis on cherche son gîte, car on est réparti entre plusieurs hôtels; un peu de mauvaise humeur encore, car on nous met sur le trottoir avec nos bagages... et le soin de trouver notre hôtel... en fait tout près.

Reconnaissance des chambres. Ta mère se couche. Nous repartons pour rétablir l'ambiance. Quelquejeu, Chéradame, Pommier s'en mêlent. Entre temps le Commandant d'armes (qui n'est pas un camarade) donne une soirée, il y a des filles à caser, et nous a transmis une invitation fort aimable pour tout le groupe. Il y a peu d'amateurs. Tout le monde est las! et aspire à dormir. Néanmoins les anciens présidents, le président du GPX, sa femme,quelques jeunes filles intrépides se dévouent. Bien entendu Charlette et Guy vont se faire une beauté. Les autres se contentent de s'excuser de leur tenue de voyage. Les camarades nos hôtes sont là, et sous les flonflons de l'orchestre tout s'arrange et la cordialité retrouve ses droits. Il est 2 heures du matin.

Demain c'est dimanche. Les amateurs peuvent prendre le bateau à 9 h pour aller à Brégenz (Autriche) qui est à une demi-heure de traversée. Les autres feront la grasse matinée, iront à la messe de 11 h, et s'embarqueront pour Bad Schachen, par car (8 km) où on déjeune. Les touristes de Brégenz rejoindront Bad Schachen par bateau.

Oui mais comment ne perdra-t-on personne parmi tant d'indisciplinés et de fantaisistes ? Quelqu'un se chargera de pointer ceux qui partent pour Brégenz, et pointera les voyageurs des cars; nous sommes de ceux là.

Le temps est devenu exécrable. Le petit parapluie télescope que ta mère a emporté fait bien son office.

Mais la messe est une messe de 1° communion ! Elle finit à 12h 3/4. Les cars devaient démarrer à midi. De Lindau, sous la pluie, nous n'avons pas vu grand chose. C'est déjà presque l'Autriche. La race est fine. Les gens aimables et souriants. Ils ne manquent de rien, maintenant, mais que de monde !

On arrive à Bad Schachen. Déjeuner à 14h. Très bel hôtel, très bon service, excellent repas. Le temps se lève et la traversée que nous ferons tout à l'heure (3h sur le lac) pour rejoindre Constance sera ensoleillée. A bord un petit bridge, et le temps passe très vite.

Il est 18h quand nous accostons à Constance. Le ciel est radieux. Courte tournée en car et on s'installe à l'Inselhof Palace ! Ancien couvent de dominicain. Couloirs immenses. Cloître roman remarquablement conservé. L'ancienne chapelle est devenue salle à manger ou salle de bal. Belle terrasse sur le lac. Très bon service. Premier prix pour le touriste isolé, pension 1600 Francs. Très belles fresques autour du cloître de Herbelin, racontant l'histoire du couvent.

On se met sur son 31, car le dîner ce soir est en habit, et sera suivi du bal annuel de la colonie française que l'on a retardé pour le faire coïncider avec notre passage. Belles tables, on est une centaine. Beaucoup de parisiens ont reculé devant le transport de l'habit, chemise, etc. Ils sont en veston. Le gouverneur et sa femme, le président du groupe d'Allemagne et Mme Leboullenger, Guy et sa femme, deux ou trois ménages d'officiers généraux sont à la table d'honneur. Quatre tables perpendiculaires sont réservées au vulgaire, cependant que les vieilles biques sont à proximité immédiate de la table d'honneur au raccordement.

Bon dîner, excellent brochet (nous avons eu à Bad Schachen de la féra (sorte de truite, croisement de la vraie truite et de l'ombre chevalier) et à Feldberghof du sanglier).

Laïus courts, puis concours du laïus du cocon moyen. Tu te rappelles en quoi ça consiste. Il faut caser dans une histoire, en les déformant dans la mesure du nécessaire, les noms de tous les participants. Je savais qu'il y avait de très sérieux concurrents, et j'avais préparé ma colle en faisant, difficulté supplémentaire, mon laïus en vers. On vous montrera ça. Cette forme m'a valu le prix. Mais là, grave difficulté, le gagnant recevait une couple de deux bouteilles de champagne, mais en outre avait le droit (et par suite le devoir) d'embrasser la plus jolie femme ! Terrible problème : faire une heureuse (non pas d'être embrassée par un vieux hanneton, mais d'être jugée la plus jolie) et cinquante dépitées (pour n'avoir pas été la plus jolie). Que fallait-il faire ?

C'était d'embrasser la moins jolie, et encore ! Alors après mûre réflexion j'ai embrassé la femme du gouverneur (la quarantaine) d'ailleurs fort gentille. La position hiérarchique apaisait tous les courroux !

Après le dîner, soirée, attraction cycliste, équilibriste, jongleur. Danses. Improvisation parole et musique de la chanson du gouverneur. Petit choeur mais sans répétition. Dans l'ensemble de la gaieté, de la cordialité. On s'est couché à 2h 1/2.

Lundi matin, visite à l'île de Mainau, reliée au rivage par un pont de 250m de long. Parc magnifique, château du 18° siècle, ancienne propriété du Grand Duc de Bade, aujourd'hui à un prince (?) suédois. Terrasses successives, végétation méridionale, magnifique cyprès.

Déjeuner rapide à l'Insel et vivement aux cars car il faut rejoindre Fribourg, assez tôt pour dîner, cette fois au mess des officiers, et être prêt pour le train à 20h 30. Le programme prévoit en outre le goûter au lac Titisee. On goûte en effet comme prévu, mais à grande allure. Ta mère emporte son gâteau dans son cabas. La traversée est plus agréable, la forêt noire se montre à nous sous un meilleur jour qu'à l'aller car il fait beau, et même chaud. La vallée très étroite de la Dreisam est très pittoresque. Un chemin de piéton suit les rochers, traverse des tunnels, rappelant des choses vues dans les Alpes, sapins sombres. Ensemble impressionnant.

C'est par cette vallée que Marie Antoinette d'Autriche passa pour aller épouser Louis XVI.

Le dîner au mess n'avait pas besoin d'être copieux ! Et à 20h tout le monde s'installait dans le train. C'était les voitures qui nous avaient amenés et nous occupions les mêmes places.

Jusqu'à Mulhouse, et même après, la jeune classe chanta. Fort bien d'ailleurs, chants à plusieurs voix. Je dis jeune, avec prolongement. Dans le même compartiment 2 garçons, Jean 25 ans, Jacques 20 ans, 12 filles de 22 à 35 ans. Les gars faisaient prime. Jean était un peu ahuri, mais il se laissait faire, gaver de tranches d'oranges et de cigarettes ! Mais malgré les efforts de ses 2 voisines et de celle qui lui faisait face, il ne parvenait pas à chanter.

Et Thérèse qui passait dans le couloir lui jetait un coup d'oeil ému, et approuvait en souriant d'un petit air entendu !

Après de si larges agapes on a bien dormi dans le train qui nous débarqua à 7 heures sur les quais de la gare de l'Est.

 

Je vous embrasse de tout coeur.

 

Soufflant les notes les plus hautes

Dans la syrinx du divin Pan

Je chante les participants

Du voyage de Pentecôte

 

C'est un mélange nuageux,

Un petit jeu sans conséquence,

Mais quelque jeu que soit ce jeu

Il postule votre indulgence.

 

Si me manque l'inspiration

Je ferai de rosse manière

D'insolites altérations

Aux patronymes de vos pères.

 

Si je donne ma langue au chat

Ma ioula sera languissante

Si je réussis mon contrat

La vôtre sera frémissante.

 

Au moment qu'Eve du pommier

Détacha la pomme fatale

Adam, baba, riant gibier

N'y vit nul motif à scandale.

 

Ainsi grâce à de tels aimants

La vie a la même nuisance

Et vous étrangle artistement

Si vous n'y portez méfiance.

 

De même ici dans cet objet

L'entreprise est pleine de risques ;

Mais puisque je suis engagé

Je vais laisser tourner le disque.

 

On l'entendra, puis on rira

C'est du moins ce que je désire !

J'en ai l'espoir, on m'absoudra

Car ici point n'est de satire.

 

Et sans fâcher Adamastor

Ce géant qui se met en rogne

Quand on passe trop prés du bord

Ergo ferai-je ma besogne.

 

Je pourrais à chacun de vous

Dire en lui passant la parole :

Toi, né plus tard, allons debout

Moi né trop tôt je batifole.

 

Vas-y maraud ! Hé donc cossard !

Te faudra-t-il poté d'avoine ?

Je pense que, mon vieux soûlard

Te vaut mieux quelque macédoine.

 

Tel un cocktail au lait caillé

Martini corsé de laitance

Ou d'oignon bien écrabouillé

Ou de melon mûr de Provence.

 

Tu crains la boisson pour ton nez

Tu fais bien car on le vit sale

Ou pour le moins bien bourgeonné

Après bamboula magistrale.

 

Tout cela te tente-il pas ?

Que faut-il pour te mettre en route ?

Tu préfères un bon repas :

Un chaud-froid de volaille en croûte ?

 

Peut-être aimes-tu les fayots

Les bons fayots chers à Eole

Autour d'un solide gigot :

Gigot harical de l'Ecole.

 

Mais n'entends je pas murmurer

"Ce jeu devient trop difficile

Il faudrait bien que vous l'aidiez

Dans cet exercice futile."

 

En riant j'avais commencé

Autant et plus que ne le fites

Courte et bonne avais je pensé !

Mais ça traine et ca périclite.

 

Ou du moins ça fait bien tout comme !

Hein que c'était bien au début ?

Et maintenant ça vous assomme

Et vous pensez il est fourbu :

 

Il est aux abois, l'artifice

A trop duré et c'est fini,

Et le joli sac à malices

Est complètement dégarni.

 

Suis-je frit ? O course insensée ;

Qui m'entraine dans ses remous !

Niais que je suis ! Patte cassée

Par un sacré coup de bambou.

 

Semblable au taureau cornupète,

Ou comme un fauve arquebouté

Je veux charger et je tempête

Sans la moindre efficacité.

 

Ni plus ni moins, je suis pauvre homme

L'enlisé du Mont Saint Michel

Et je n'escompte plus en somme

Qu'un secours providentiel.

 

Mais cette aumône nous l'aurons,

Supplions quelque belle ondine

De nous donner de l'éperon

Afin que nos efforts s'obstine.

 

A travers ce méli-mélo

Je vois presque le bout quand même

De cet ahurissant poème

Domino gratias meo !

 

Liste des participants : LANGE, QUELQUEJEU, ROSSMANN, ANGOT, CHAMAYOU, POMMIER, BARRIANT, LAVIALLE, L'ANGLARDS, LESNE, PIZON, JANET, CHERADAME, BOHRER, TOINET, MOINE, BATI, MAROT, HOSSARD, POTEZ, DAVOINE, CAILLEZ, MARTINY, DOIGNON, MELLON, LEVISALLES, FROIDEVAUX, FAYOLLET, LEIDIER, HENRY, FITTE, COURTET, COMINX, ABOILARD, LISSAC, FRIOCOURT, MOUNIER, CORNU, FAUVARQUE, MICHEL, IORON, BELLON, MEOT.