ARBITRAGE

Il s'agissait d'un pari sur la production sucrière en 1929. Mr Dudoy, courtier en sucres, perdit ce pari et offrit un excellent déjeuner.

 

Des centaines de mille tonnes

Nous ont amenés jusqu'ici,

Ici messieurs, où je m'étonne

D'être au milieu de vous assis.

 

J'ai pourtant assumé ce rôle,

L'ayant plus ou moins mal acquis.

Si ce rôle ne fut pas drôle

Son dernier chapitre est exquis.

 

Ayant accepté d'être arbitre

Sans y avoir ni droit ni titre,

Il est ici de mon devoir

De parler du "doit", de "l'avoir" :

 

Pour "l'avoir" nous avons, je pense,

Fort bien garni toute nos panses ;

Quant à "Dudoy" nous lui dirons

Ami, merci, nous reviendrons.

Restaurant Drouant - Décembre 1929

 

 

 

 

 

RETOUR DE VOYAGE

Histoire vraie - 6 mars 1921

Personnages :

 

Notre bon roi René revenait de voyage,

Il était tout heureux : revoir son entourage,

Sa maison, ses enfants, enfin se reposer

De l'absence, qu'il faut savoir favoriser

Pourtant au bon moment; la douceur monotone

Du foyer conjugal n'est pas toujours très bonne.

Au calme il faut trouver parfois un réactif,

Sans lequel le meilleur peut devenir poussif.

 

En cette belle humeur, il baisait à la ronde.

Vous savez qu'au retour l'effusion abonde.

Chacune avait le sien : baiser, comme de droit,

De qualité choisie et mis au bon endroit ;

Et vous pouvez penser qu'à sa femme, la reine,

Il veut prouver ce que je ne prends pas la peine

De préciser.

 

Malgré tout son contentement

Notre bon roi René conservait cependant

La dignité hautaine et quelque peu tragique

A laquelle avec soin, sans faiblesse il s'applique,

Car il sait ce qu'il doit mettre de majesté

Dans ses actes : ainsi le veut la royauté.

 

 

Revenons aux baisers. Cette scène gentille

Avait pour spectateurs, le gendre, prince ardent,

La marquise Louise, à l'oeil qui pétille,

La servante écoutant contre le paravent.

Et c'est par celle-ci que je sais tout cela,

Car, à mon grand regret, moi, je n'étais pas là !

 

Le gendre et la marquise avaient donc regardé.

 

Parce qu'il est timide et doux, et que, sans cesse

Il peut baiser sa jeune épouse, la princesse,

Le jeune prince est calme, au reste bien gardé,

Mais la marquise, ah mes amis ! quelle autre affaire !

Elle ne peut souffrir l'inaction, mais que faire ?

Le monarque n'a même pas baisé sa main !

Ira-t-elle vers lui ? Tendra-t-elle sa joue ?

Ou bien, faute du Roi vers le doux benjamin ?

 

C'est ce dernier qu'en fin de compte elle s'alloue.

Elle avance d'un pas, ouvre les bras, les ferme

Sur le torse mignon du gendre stupéfait

Qui cherche, en reculant, à protéger son derme.

 

Deux sonores baisers ont claqué, pan, c'est fait !

 

La marquise assouvie a souri, son feu tombe,

Mais le prince ne peut refermer son oeil rond ;

Ahuri, sous le coup brutal, le rouge au front,

Il s'en faut de bien peu que sa raison succombe !

 

Personne n'a bougé, mais tout le monde craint

Qu'il rende, inconscient, le baiser qu'il refuse,

Dévoré par le feu que la marquise infuse.

 

Non, il s'est retourné vers l'épouse, il l'étreint !

 

Il s'apaise bientôt dans les bras de sa femme

Qui fort heureusement peut tempérer sa flamme.

 

 

 

 

 

 

A LA MANIERE DE

NOTRE BON ET JOYEUX

LA FONTAINE

 

Il faut toujours garder dans la vie son sang froid

Et ne pas se laisser aller à la faiblesse

Conséquences parfois traîtresses

Et plus grave que l'on ne croit

Peuvent en sortir. Je vais dire

Une histoire à frémir, mais dont vous pourrez rire

Car notre héros, le mari,

N'ayant su jamais rien, est aujourd'hui guéri.

 

Un jour, un médecin, vit dans son cabinet

Pénétrer une jeune fille,

D'ailleurs d'excellente famille,

Que depuis sa naissance avec zèle il soignait.

Très émue, la pauvre petite

Cherchait en vain ses mots, tremblait à chaque pas,

Ne pouvant préciser de façon explicite

Le secret qu'elle avait et qui ne sortait pas.

 

"Vous savez", disait-elle au docteur, "que demain"

"Je dois me marier, et c'est là mon chagrin !"

- "Comment", répondait-il, "tu craindrais ce mariage ?"

"Aurais tu recueilli contre ton fiancé"

"Quelques propos sournois ? Dis le moi sans ambages,"

"Je te rassurerai. - Non - Je vois ce que c'est :"

"La nuit de tes noces t'inquiéte."

"Mais ce n'est qu'un moment un peu dur à passer."

"On le rachète après plus qu'on ne peut penser."

- "Non ce n'est pas cela... ou du moins vous y êtes !"

"Mais ce n'est pas la crainte de souffrir."

"Je redoute au contraire... ah ! j'aime mieux mourir !"

 

Et la malheureuse sanglote.

Le docteur dérouté n'y comprenait plus rien.

Tout à coup un éclair l'illumina : la faute.

 

"Serais tu par hasard... - Non, non - Mais nom d'un chien,"

"Explique toi. N'es-tu pas là pour ça; courage"

"Mon enfant, n'aie pas peur. - Je n'ai pas été sage,"

"Et maintenant, docteur, peut-être qu'on le voit."

- "Ah diable, je te crois."

Laisse échapper le docteur, puis, plus calme :

"Alors ta palme"

"D'oranger ne sera qu'une aimable fiction,"

"Une vaine parure, une fleur sans racine,"

"Sans feuille, et non pas sans épine !"

"Et l'épine te pique et tu maudis l'action"

"Qui fana cette fleur. Las ! regrets superflus."

"Ce qui passa ne revient plus."

- "Vous m'accablez", docteur, "murmurait la pauvrette."

"N'aurez vous donc pour moi plus aucune pitié ?"

"Je suis née en vos mains l'avez vous oublié ?"

"Ne me repoussez pas, entendez ma requête."

- "Je t'écoute, ma fille, avec attention."

- "N'existe-t-il donc rien, pilule ou potion,"

"Qui pourrait redonner au moins quelque apparence"

"A mon honneur flétri; qu'en toute confiance"

"Je pourrais absorber au moment opportun,"

"N'est-il aucun remède ? - Hé ! je n'en vois aucun."

- "Pourtant... - A moins, fillette,"

"Que tu fasses l'essai, en faisant ta toilette,"

"De te badigeonner à l'endroit qui convient"

"Avec ce composé, c'est peut-être un moyen."

 

Et le docteur prescrit la dose

Qu'il faut employer pour la chose.

 

La jeune femme, heureuse, en fait l'acquisition

Et prend le lendemain toutes les précautions.

 

Cependant le docteur se faisait quelque bile :

"C'est embêtant", grommelait-il, "j'étais tranquille."

"Qu'avait-elle besoin de venir me trouver ?"

"Si ça marche, parfait ! mais qui peut le prouver ?"

"Sinon, qu'adviendra-t-il ? D'autant qu'il est possible"

"Que pour calmer l'humeur d'un époux irascible"

"La petite me mêle à ses dénégations,"

"Inventant je ne sais quelle histoire impossible"

"De sournoises explications."

"Et dans ce beau débat, je servirai de cible."

"Peureuse, qu'elle avoue ! et mange le morceau !"

"Ce sera du joli ! Docteur tu n'es qu'un sot."

 

Pendant toute la nuit notre docteur s'inquiète.

Enfin vers le matin, comme il va s'endormir,

Il sursaute, anxieux, au bruit de la sonnette.

Il bondit hors du lit. Qui donc peut survenir

A cette heure ? Si c'est le mari, que lui dire ?

Et notre pauvre ami s'imagine le pire.

 

Et c'est l'homme en effet devant lui, triste sort ;

D'un coup d'oeil le docteur a vu l'horrible chose,

L'oeil rond, l'époux muet s'épuise en vains efforts

Il ne peut plus, hélas, ouvrir sa bouche close !

1923

 

 

 

 

 

 

FAUX-PAS

 

Les femmes, excédées un jour par les souffrances

Qu'elles devaient subir pour leur maternité,

Mandèrent au Seigneur, portant leurs doléances,

Trois d'entr'elles au nom de toute la cité.

 

"Dieu puissant prend pitié ! notre immense détresse

"Ne peut pas te laisser indifférent et froid

"Sois équitable. Accorde nous enfin que cesse

"Cette inégalité qui choque le bon droit.

 

"Que nos bons compagnons souffrent à tour de rôle,

"Une fois eux, puis nous, c'est juste strictement !"

Le Seigneur réfléchit puis il prit la parole

En lissant de son doigt sa barbe au poil d'argent.

 

"Je vous exaucerai, trop aimables rebelles (1)

"Rentrez à vos logis, déridez vos sourcils

"Je veux que votre part demain soit la plus belle.

"Vous porterez, ils souffriront. - Ainsi-soit-il !"

 

La délégation quand on connût la chose

Fut portée en triomphe à travers la cité ;

Les femmes exultaient et voyaient tout en rose,

C'était partout chansons, ris, et félicité.

 

A peu de jours de là, la première naissance

Au nouveau règlement devant se conformer,

Chez les intéressés, Seigneur, quelle affluence

Pour voir votre justice à nouveau s'affirmer.

 

Hommes, femmes, enfants, c'était la ville entière

Dont le flot turbulent se pressait curieux.

Sans souffrir la patiente attendait d'être mère

Pendant que son époux, un peu pâle, anxieux,

Assis dans un fauteuil et se forçant à rire,

Epiait la douleur en murmurant ces mots :

"Je ne sens presque rien. Je m'attendais à pire,

"Femmes, n'avez vous pas exagéré vos maux."

 

A peine avait-il dit ces paroles légères

Qu'un cri dans le salon voisin retentissait.

Un autre homme hurlait en se roulant à terre

Cependant que soudain l'enfant apparaissait.

 

Emue par l'incident, comme on le pense bien,

La délégation revint, l'oreille basse,

Retrouver le Seigneur en implorant sa grâce

Afin que soient repris les usages anciens.

 

(1) Autre version de ce vers :

"Vous serez exaucées ô aimables rebelles"

1923

 

 

 

 

 

 

DESABONNEMENT

Lettre à la revue "Poésie" - (Déc. 1926)

 

Les temps sont durs : pauvre abonné,

Je n'ai plus rien à vous donner !

Qu'y faire ? et c'est bien tristement

Que je cesse l'abonnement.

 

Pour marquer ma virilité

Contre et malgré l'adversité,

Les vers pondus sur ce vélin

Ne seront que vers masculins.

Mâles vers, faits pour consoler

De me trouver si décollé ;

Aussi pour vous remercier

De vos sympathiques cahiers.

 

Je vous exprime en ces quatrains

Tous mes regrets, tout mon chagrin !

(Fait-on toujours tout ce qu'on veut ?)

Mes compliments et tous mes voeux.

 

Depuis quatre ans, en vérité,

Vieil abonné numéroté :

Numéro six ! c'est déjà beau

De se placer à ce niveau.

Mais cela n'était pas gratis

D'avoir ce beau numéro six !

Plus cher encor de cinq à un

Plus cher et surtout moins commun.

Mais était-ce vraiment de trop

Que de payer le numéro

Qui distingue tout simplement

Ces différents abonnements,

Satisfait votre vanité

Et ne vous donnant rien de moins

Demeure de plus le témoin

De votre libéralité !

 

Mais je ne veux pas vous bêcher :

Je n'ai rien à vous reprocher !

Pendant quatre ans, sans défaillir,

Je vous ai lu, non sans plaisir.

Chaque mois, je m'éjouissais

En lisant ces vers bien français !

Quoiqu'il advint, certaines fois

De constater avec effroi

Que vraiment l'on ne saisissait

Pas bien ce qu'avait pu penser

Le moderne auteur de ces vers !

Du moderne c'est le revers !

 

Par exemple, l'aiguille en bois

Que tout à coup l'on aperçoit

Avant d'apercevoir le toit

De la pagode, où ce chinois

Est accusé d'avoir violé

Une norvégienne en violet !

Que de points d'interrogation

Devant ces élucubrations.

 

J'aimais mieux Labèque Loys ;

Malgré trop de "de profondis",

Loys n'était point saugrenu.

Mais Loys, qu'est-il devenu ?

Dans les ténèbres, confondu,

Est-il errant, s'étant perdu ?

D'un fâcheux coup de soleil noir

Son âme est-elle morte, un soir ?

 

Tout au début, souvenez-vous,

Le regard fixé loin de nous,

De cette vieille de Payen,

Débobinant le temps ancien,

Rêvant du ciel, des angelets

Et de Saint Pierre et de ses clefs,

Et vers l'avenir mystérieux

Tournant ses vieux yeux anxieux.

 

J'aimais Octave Charpentier

Anathémisant sans pitié

Le vice et l'immoralité

De notre pauvre humanité.

 

Et tant d'autres que j'ai relus

Cent fois les ayant déjà lus !

 

J'aimais tout cela, mais voilà !

Ce rythme qui m'ensorcela

Je le perds n'ayant plus le rond !

 

Bah ! de meilleurs jours reviendront.

 

 

 

 

 

 

 

TIMIDITE

 

Vraiment vous êtes trop timide ;

Avez-vous bien réfléchi

A la gêne qui vous bride,

Dont vous êtes tout gauchi ?

Est-ce la crainte d'autrui,

Seule, qui vous paralyse ?

Est-ce une sorte d'ennui ?

Est-ce la fainéantise

A la source de vos maux,

Qui cause tant de dommages ?

Voilà je crois le fin mot :

Paresseux et sans courage.

Mais, singulier contrepoids,

Curieuse coïncidence,

Vous êtes buté parfois

Jusqu'à trop d'intolérance

Et l'équilibre normal

Souffre fort de ce mélange

Nuisible et paradoxal

Aussi complexe qu'étrange.

 

Allons ami, de la mesure.

Eveillez-vous, évadez-vous

De cet isolement jaloux

Stérile et contre nature.

Mettez quelque animation

Un peu d'ardeur et de vie

A défendre une opinion

A satisfaire une envie.

 

Le mouton en ce bas-monde

Trop souvent est égorgé,

Saigné, dépecé, mangé

Et le moins c'est qu'on le tonde.

Août 34