JOIE ET DOULEUR

 

 

Pourquoi, s'il faut souffrir, tant de si douces choses

Si généreusement offertes à nos mains ?

Et pouvons-nous jouir, guettant les lendemains,

Du délicat parfum des jasmins et des roses.

 

Pourquoi sur le rosier où nos doigts se posent

L'épine a-t-elle soif toujours de sang humain,

Vigilante gardienne, hier comme demain,

Du calice défunt comme de la fleur close ?

 

Trop long le plaisir blase et trop violent il use :

Il faut pour le grandir que la douleur l'excuse,

Et cette opposition en fait la qualité.

 

Il ne pourrait puiser sa beauté magnifique

Ni dans l'intensité, ni dans l'éternité :

Joie et douleur sont les deux feuillets d'un diptyque !

 

 

 

 

 

UNE JOURNEE A ERMENONVILLE

 

 

Dans les jardins d'Ermenonville,

Où quelques esprits compliqués

Ont buriné pour l'expliquer

Sur le roc leur pensée subtile,

J'évoquais l'âme de Rousseau.

Dans ces jardins, dont la structure

N'est pas simple oeuvre de Nature,

Dans la forêt, vers le ruisseau,

Le long des étangs, sur le sable

De ce désert invraisemblable,

Voile fauve au milieu des bois,

Elle revient, dit-on, parfois.

Pendant que la troupe joyeuse

De mes amis allait, rieuse,

Sans respect pour ce grand Passé,

(En est-on encore offensé ?)

Du temple de Philosophie,

D'où la Sagesse nous défie,

Au temple des vieilles Amours,

Que le speaker, d'un geste auguste,

Lui désignait avec humour,

(C'était le château d'eau, Dieu juste !)

L'ombre de Rousseau m'apparût

Aussi hargneuse qu'il le fût !

Un large manteau sur cette ombre

Jetait sa note froide et sombre ;

Et voici ce que j'entendis,

Mot à mot je vous le redis :

 

"Faudra-t-il que ma solitude soit constamment troublée par votre présence, ô foule indésirable du nouveau siècle ?

 

Si je reviens, âme errante, en ces lieux funèbres, c'est que je me suis suicidé, quoiqu'on en dise !

 

Je ne les ai jamais aimés ! L'importune insistance d'une dernière admiratrice m'avait imposé ce séjour odieux, et j'en suis mort, écoeuré de ces décors factices, de cette ambiance frauduleuse, de cette copie de la Nature, à la vérité presque réussie, dont Dieu lui-même est offusqué.

 

Faudra-t-il qu'à jamais le commerce des hommes me soit un supplice ? Persécutée comme autrefois, au cours de ma douloureuse existence, mon âme est pleine d'amertune.

 

Qu'as-tu fait, société mauvaise, de mes conceptions généreuses ? Qu'as-tu fait de mon Contrat Social ?

 

Je croyais, pauvre naïf, avoir trouvé une forme d'association qui défendît et protégeât, de toute la force commune, la personne et les biens de chaque associé.

 

Etait-ce un rêve hélas ?

 

Dans les faits, vous n'en avez retenu, pitoyables élèves, qu'un paravent pour dissimuler vos appétits personnels, votre mépris du bien public, vos dictatures cyniques !

 

Personne n'obéit plus jamais à sa conscience, et le jour est proche où nul ne connaîtra plus le sens même du mot Liberté !

 

Soit maudite à jamais, société méchante et destructrice !"

 

A ces derniers mots, le fantôme

Se fondit soudain dans l'éther.

- - - La troupe joyeuse, en monôme,

Suivait les pas de son speaker.

- - - Déplorant l'humaine folie,

Je repris tristement le rang :

Ce ne fut que le restaurant

Qui chassa ma mélancolie.

 

 

 

 

 

 

EPISODES DE LA VIE DU G.P.X

 

Avril 1954

- I Au thé dansant -

 

Le dimanche, à nos thés dansants,

Nos radieux adolescents

S'en donnent à plein coeur de sauter et de rire,

Et point n'est besoin de redire

Que ces jeux languissants, bondissants ou glissants,

Restent toujours fort innocents.

 

Tout arrive pourtant; le bon ton bien connu

De notre compagnie

Un jour fut offensé, sa dignité ternie

Par le manque... ou l'excés de tact d'un inconnu,

Et notre cerbère

Sévère

S'en ouvrit à l'exécutif

Attentif.

Un bref conseil de guerre, un coup d'oeil vers Achille,

Une manoeuvre habile

Au moment opportun,

Et fut ainsi ravie à l'infâme importun

Cette innocente et blanche petite oie

Dont il voulait faire sa proie.

 

A l'instant qu'il partit, notre intrus dépisté,

Accusé d'avoir inventé

Un faux nom pour se faire admettre,

Nia très fermement (sans convaincre peut-être)

Mais il nia. D'ailleurs, pour qu'on l'agrée

Il avait dû payer son entrée

Et n'était-ce pas là le meilleur plaidoyer ?

Enfin, enfin s'il est exact

Que le trésor demeura intact,

Et que seul le satyre en eût quelque déboire,

Que reste-t-il de cette histoire ?

 

Dans l'eau pas même un coup d'épée

Et que satyre nie mais paie.

 

 

 

 

 

 

EPISODES DE LA VIE DU G.P.X

Avril 1954

- II Encore le satyre -

 

Le satyre est-il revenu ?

C'est la nouvelle qui circule.

Plusieurs déjà l'ont reconnu !

Le satyre est-il revenu ?

Pudique ou pervers, ingénu,

Pour le voir chacun se bouscule.

Le satyre est-il revenu ?

C'est la nouvelle qui circule.

 

Le Président l'a repéré,

Et c'est ce qui nous tranquillise.

Pour le pire tout est paré,

Le Président l'a repéré.

Achille attend très entouré,

Electrisé par sa promise.

Le Président l'a repéré,

Et c'est ce qui nous tranquillise.

 

La salle n'a d'yeux que pour lui,

Epiant le plus petit geste,

Geste voulu, geste fortuit.

La salle n'a d'yeux que pour lui.

La curiosité le suit

Palpitante, c'est manifeste.

La salle n'a d'yeux que pour lui,

Epiant le plus petit geste.

 

S'il fait Majoutoucha Tajou,

Va-t-on crier à l'équivoque ?

D'autres danseurs le font itou.

S'il fait Majoutoucha Tajou

Ce n'est pas bien grave, après tout

Ce que tolère notre époque.

S'il fait Majoutoucha Tajou,

Va-t-on crier à l'équivoque ?

 

Ce satyre est-il si méchant

Que le veut la foule maligne ?

Vieux beau mais point effarouchant,

Ce satyre est-il si méchant ?

Et pour le fruit vert son penchant

Peut rester dans la droite ligne.

Ce satyre est-il si méchant

Que le veut la foule maligne ?

 

Le Président persévérant

A pu situer le bellâtre.

Son intuition l'éclairant

Le Président persévérant

De sa carte a connu le rang.

C'est le six cent soixante quatre

Le Président persévérant

A pu situer le bellâtre.

 

Muni de ce renseignement,

Je suis allé voir le registre !

Ce que j'ai constaté, vraiment,

Muni de ce renseignement,

Est formidable, ahurissant,

Enorme, affligeant et sinistre.

Voici de ce renseignement,

Tout ce que m'a apprit ce registre !

 

Ce faux satyre est le cocon

D'un sympathique camarade

Et par deux fois dans nos salons,

Ce faux satyre et son cocon

Ont viré tous les deux. Allons !

C'est une pure galéjade.

Ce faux satyre et son cocon

Sont d'acoquinés camarades.

 

Si vous voulez savoir qui sont

Ce satyre et son camarade !

Tout simplement des polissons.

Si vous voulez savoir qui sont

Ces deux coquins là ! Et leur nom ?

Non ! Devinez cette charade

Si vous voulez savoir qui sont

Ce satyre et son camarade !

 

- Charade -

 

Mon tout serait-il mon premier

Et le serait-il à lier

Pour n'avoir pas su reconnaître

Un cocon, décati peut-être,

Après passés presque trente ans ?

Il avait eu pourtant le temps

(Temps qui fut tel que mon deuxième)

De le remettre tout de même !

 

L'un et le deux mis bout à bout

Suffisent à faire mon tout

Qui fit, lui, tout ce qu'il pût faire

En cette mémorable affaire.

Voilà le cocon du satyre.

A deux syllabes, l'on s'en tire.

L'autre en a neuf, peut-être dix,

C'est un peu trop, je m'en dédis. (1)

Mais j'en ai dit assez, je pense,

Pour que vous ayez connaissance.

(1) REGNAULT DE SAVIGNY DE MONCORPS

 

 

 

 

 

 

DEDICACE

A Louis Bougault

 

Pure comme l'or d'un lingot

Votre droite et franche carrière

Vous a valu, mon cher Bougault,

Cette décoration guerrière.

Du grand chancelier mandataire,

Je vous ai reçu, plein d'orgueil.

Et maintenant, plus de mystère :

On veut vous offrir un fauteuil.

 

Aux immortels ce bibelot

Aimable, discret, salutaire,

Complète heureusement le lot

Des plaisirs qu'on prend, solitaire :

Favorable à ceux qui digèrent

Les invitant à fermer l'oeil.

Félicités que vous suggèrent

Ceux qui vous offrent ce fauteuil.

 

Que vous assaille un lumbago

Et son cortège de misères,

Mieux qu'une étreinte de tango

Du modèle de Buenos-Ayres,

Sa pression chaude et tutélaire

A vos reins fera bon accueil.

C'est votre bonheur musculaire

Qu'on vous offre avec ce fauteuil.

 

Envoi

 

Prince, pour que la joie éclaire

Nos regards tournés vers Auteuil,

Dites nous qu'on a su vous plaire

Même en vous offrant un fauteuil.

 

 

 

 

 

 

FIANCAILLES

A la blonde Suzy, ma nièce

 

Ainsi, la terre marocaine,

En cette si courte saison,

De tes amours, petite reine,

Favorisa la floraison !

Il a mis ton coeur en prison

Dans les mailles de sa madrague,

Le Prince charmant a raison

Quand il s'appelle Georges Prague.

 

Son âme est tout près de la tienne

Egrenant la conjugaison

De ce verbe qui nous enchaîne ;

Elle vibre à ton diapason.

L'esprit en douce échauffaison,

Dans ces rêves où l'on divague,

Tu t'enivres du cher poison

Que te distille Georges Prague.

 

Tu fus la blonde magicienne

Qui conquis ce nouveau jason.

Tu promis que tu ferais sienne,

Avec ses feux d'or, ta toison.

Demain, sacrant votre liaison,

A ton doigt il mettra la bague,

Et tu diras, péroraison,

Prends tous ces trésors, Georges Prague.

 

Envoi

 

Prince, déjà vers l'horizon

Je vois s'envoler sur la vague

L'esquif où la tendre Suzon

Sera Madame Georges Prague.