Pourquoi, s'il faut souffrir, tant de si douces choses Si généreusement offertes à nos mains ? Et pouvons-nous jouir, guettant les lendemains, Du délicat parfum des jasmins et des roses.
Pourquoi sur le rosier où nos doigts se posent L'épine a-t-elle soif toujours de sang humain, Vigilante gardienne, hier comme demain, Du calice défunt comme de la fleur close ?
Trop long le plaisir blase et trop violent il use : Il faut pour le grandir que la douleur l'excuse, Et cette opposition en fait la qualité.
Il ne pourrait puiser sa beauté magnifique Ni dans l'intensité, ni dans l'éternité : Joie et douleur sont les deux feuillets d'un diptyque ! |
"Faudra-t-il que ma solitude soit constamment troublée par votre présence, ô foule indésirable du nouveau siècle ?
Si je reviens, âme errante, en ces lieux funèbres, c'est que je me suis suicidé, quoiqu'on en dise !
Je ne les ai jamais aimés ! L'importune insistance d'une dernière admiratrice m'avait imposé ce séjour odieux, et j'en suis mort, écoeuré de ces décors factices, de cette ambiance frauduleuse, de cette copie de la Nature, à la vérité presque réussie, dont Dieu lui-même est offusqué.
Faudra-t-il qu'à jamais le commerce des hommes me soit un supplice ? Persécutée comme autrefois, au cours de ma douloureuse existence, mon âme est pleine d'amertune.
Qu'as-tu fait, société mauvaise, de mes conceptions généreuses ? Qu'as-tu fait de mon Contrat Social ?
Je croyais, pauvre naïf, avoir trouvé une forme d'association qui défendît et protégeât, de toute la force commune, la personne et les biens de chaque associé.
Etait-ce un rêve hélas ?
Dans les faits, vous n'en avez retenu, pitoyables élèves, qu'un paravent pour dissimuler vos appétits personnels, votre mépris du bien public, vos dictatures cyniques !
Personne n'obéit plus jamais à sa conscience, et le jour est proche où nul ne connaîtra plus le sens même du mot Liberté !
Soit maudite à jamais, société méchante et destructrice !"
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Avril 1954
Le dimanche, à nos thés dansants, Nos radieux adolescents S'en donnent à plein coeur de sauter et de rire, Et point n'est besoin de redire Que ces jeux languissants, bondissants ou glissants, Restent toujours fort innocents.
Tout arrive pourtant; le bon ton bien connu De notre compagnie Un jour fut offensé, sa dignité ternie Par le manque... ou l'excés de tact d'un inconnu, Et notre cerbère Sévère S'en ouvrit à l'exécutif Attentif. Un bref conseil de guerre, un coup d'oeil vers Achille, Une manoeuvre habile Au moment opportun, Et fut ainsi ravie à l'infâme importun Cette innocente et blanche petite oie Dont il voulait faire sa proie.
A l'instant qu'il partit, notre intrus dépisté, Accusé d'avoir inventé Un faux nom pour se faire admettre, Nia très fermement (sans convaincre peut-être) Mais il nia. D'ailleurs, pour qu'on l'agrée Il avait dû payer son entrée Et n'était-ce pas là le meilleur plaidoyer ? Enfin, enfin s'il est exact Que le trésor demeura intact, Et que seul le satyre en eût quelque déboire, Que reste-t-il de cette histoire ?
Dans l'eau pas même un coup d'épée Et que satyre nie mais paie. |
Avril 1954
Le satyre est-il revenu ? C'est la nouvelle qui circule. Plusieurs déjà l'ont reconnu ! Le satyre est-il revenu ? Pudique ou pervers, ingénu, Pour le voir chacun se bouscule. Le satyre est-il revenu ? C'est la nouvelle qui circule.
Le Président l'a repéré, Et c'est ce qui nous tranquillise. Pour le pire tout est paré, Le Président l'a repéré. Achille attend très entouré, Electrisé par sa promise. Le Président l'a repéré, Et c'est ce qui nous tranquillise.
La salle n'a d'yeux que pour lui, Epiant le plus petit geste, Geste voulu, geste fortuit. La salle n'a d'yeux que pour lui. La curiosité le suit Palpitante, c'est manifeste. La salle n'a d'yeux que pour lui, Epiant le plus petit geste.
S'il fait Majoutoucha Tajou, Va-t-on crier à l'équivoque ? D'autres danseurs le font itou. S'il fait Majoutoucha Tajou Ce n'est pas bien grave, après tout Ce que tolère notre époque. S'il fait Majoutoucha Tajou, Va-t-on crier à l'équivoque ?
Ce satyre est-il si méchant Que le veut la foule maligne ? Vieux beau mais point effarouchant, Ce satyre est-il si méchant ? Et pour le fruit vert son penchant Peut rester dans la droite ligne. Ce satyre est-il si méchant Que le veut la foule maligne ?
Le Président persévérant A pu situer le bellâtre. Son intuition l'éclairant Le Président persévérant De sa carte a connu le rang. C'est le six cent soixante quatre Le Président persévérant A pu situer le bellâtre.
Muni de ce renseignement, Je suis allé voir le registre ! Ce que j'ai constaté, vraiment, Muni de ce renseignement, Est formidable, ahurissant, Enorme, affligeant et sinistre. Voici de ce renseignement, Tout ce que m'a apprit ce registre !
Ce faux satyre est le cocon D'un sympathique camarade Et par deux fois dans nos salons, Ce faux satyre et son cocon Ont viré tous les deux. Allons ! C'est une pure galéjade. Ce faux satyre et son cocon Sont d'acoquinés camarades.
Si vous voulez savoir qui sont Ce satyre et son camarade ! Tout simplement des polissons. Si vous voulez savoir qui sont Ces deux coquins là ! Et leur nom ? Non ! Devinez cette charade Si vous voulez savoir qui sont Ce satyre et son camarade !
Mon tout serait-il mon premier Et le serait-il à lier Pour n'avoir pas su reconnaître Un cocon, décati peut-être, Après passés presque trente ans ? Il avait eu pourtant le temps (Temps qui fut tel que mon deuxième) De le remettre tout de même !
L'un et le deux mis bout à bout Suffisent à faire mon tout Qui fit, lui, tout ce qu'il pût faire En cette mémorable affaire. Voilà le cocon du satyre. A deux syllabes, l'on s'en tire. L'autre en a neuf, peut-être dix, C'est un peu trop, je m'en dédis. (1) Mais j'en ai dit assez, je pense, Pour que vous ayez connaissance. |
(1) REGNAULT DE SAVIGNY DE MONCORPS
A Louis Bougault
Pure comme l'or d'un lingot Votre droite et franche carrière Vous a valu, mon cher Bougault, Cette décoration guerrière. Du grand chancelier mandataire, Je vous ai reçu, plein d'orgueil. Et maintenant, plus de mystère : On veut vous offrir un fauteuil.
Aux immortels ce bibelot Aimable, discret, salutaire, Complète heureusement le lot Des plaisirs qu'on prend, solitaire : Favorable à ceux qui digèrent Les invitant à fermer l'oeil. Félicités que vous suggèrent Ceux qui vous offrent ce fauteuil.
Que vous assaille un lumbago Et son cortège de misères, Mieux qu'une étreinte de tango Du modèle de Buenos-Ayres, Sa pression chaude et tutélaire A vos reins fera bon accueil. C'est votre bonheur musculaire Qu'on vous offre avec ce fauteuil.
Prince, pour que la joie éclaire Nos regards tournés vers Auteuil, Dites nous qu'on a su vous plaire Même en vous offrant un fauteuil. |
A la blonde Suzy, ma nièce
Ainsi, la terre marocaine, En cette si courte saison, De tes amours, petite reine, Favorisa la floraison ! Il a mis ton coeur en prison Dans les mailles de sa madrague, Le Prince charmant a raison Quand il s'appelle Georges Prague.
Son âme est tout près de la tienne Egrenant la conjugaison De ce verbe qui nous enchaîne ; Elle vibre à ton diapason. L'esprit en douce échauffaison, Dans ces rêves où l'on divague, Tu t'enivres du cher poison Que te distille Georges Prague.
Tu fus la blonde magicienne Qui conquis ce nouveau jason. Tu promis que tu ferais sienne, Avec ses feux d'or, ta toison. Demain, sacrant votre liaison, A ton doigt il mettra la bague, Et tu diras, péroraison, Prends tous ces trésors, Georges Prague.
Prince, déjà vers l'horizon Je vois s'envoler sur la vague L'esquif où la tendre Suzon Sera Madame Georges Prague. |